La Cène

« God loves me. I know he loves me. I want him to stop. » Willem Dafoe – 1988
« You’re a lunatic! I’m not gonna be in no damn convent with these people. These people don’t even have sex ! » Whoopi Goldberg – 1992

Mais pourquoi seignôôôr ?

L’autre jour j’ai mangé avec des prêtres. Y’en avait plein. C’était un dimanche midi. Et je me suis pas fait chier.

Du tout.

Un des prêtres en question c’est mon oncle. Faut savoir qu’ils sont un peu old school dans la famille du côté paternel. Ils ont tous vu la vierge. C’est des chouans, ça doit venir de là. Tellement chouans d’ailleurs qu’il y a même un ancêtre illustre qui avait du galon chez les royalistes. Un général qui dézinguait du républicain pendant la révolution, le genre à cheval sur les principes à mon avis. On passera sous silence le fait qu’il s’est mis la honte tout seul en mourant encorné par une vache pendant une foire aux bestiaux. Le gros fail qui fait mal pour finir une carrière pourtant bien entamée, même en étant du mauvais côté du manche. Je vous laisse imaginer la blessure familiale. Manquerait plus qu’on découvre qu’on a des cousins germains un peu borderline à la Hitler ou Pol Pot…

Mon oncle est donc prêtre. Mais pas n’importe lequel. Le lider maximo de sa congrégation. C’est organisé comme ça, me demandez pas plus de détails je n’y connais rien. Et là c’était un déjeuner pour commémorer la fin de son mandat. Je me suis retrouvé invité, va savoir pourquoi. J’aime autant vous dire qu’avec madame on n’en menait pas large quand les douze coups de midi ont sonné. On cauchemardait depuis la veille sur des questions existentielles. Est-ce qu’il va y avoir de l’alcool à l’apéro ? Il faut réciter le bénédicité avant de manger ? On va prier entre les plats ? Est-ce que je peux y aller en tee-shirt ? On nous avait donné des places VIP au troisième rang dans la chapelle Sixtine pour le conclave…

Et puis en fait rien. A peine arrivés on tombe sur un gus de deux mètres de haut avec les cheveux longs qu’on va appeler Georges pour la suite de cette histoire. Georges ça lui va bien, en plus c’est son vrai nom. Georges nous met à l’aise tout de suite avec une vanne (que j’ai oubliée) et quand il ouvre la porte de la salle où se tiendront les agapes on comprend qu’on est pas là pour rigoler. Whisky, Vodka et j’en passe, tout titre à 20° minimum. Spring break chez les curés. Et Georges qui m’engueule parce que je prends pas tout de suite un truc à boire. Une vodka tonic, merci Georges. S’en suivent les présentations d’usage et la traditionnelle remise d’offrande de l’homme poli que je suis à mon hôte (qui se trouve, vous le savez déjà si vous suivez, être mon oncle). L’offrande en question se présentant sous la forme d’une boîte de gâteaux / bonbons / autres. C’est à ce moment précis que la réalité me rattrape : tout le monde s’arrête et applaudis. Standing ovation pour mes gâteaux. Merci les mecs, c’est gentil mais c’est trop. Vraiment. Réservez vos applaudissements pour Benoît ou pour le Boss.

Le premier choc à peine encaissé, la deuxième lame du rasoir de la réalité passe sur le poil de mes préjugés. J’avais tablé sur un déjeuner à l’hospice avec des petits vieux grisonnants, genre anciens curés de paroisses 100% terroir, et je me retrouve devant une armée mexicaine. Nous avons donc, si je me souviens bien : cinq vietnamiens (deux prêtres et trois étudiants en théologie), un étudiant en théologie coréen (affublé d’un tee-shirt The Dark Knight très seyant), une sœur espagnole, une sœur portugaise, un prêtre brésilien, un prêtre polonais, un prêtre arménien et, tout de même, mes petits vieux grisonnants. Assemblée agréablement cosmopolite s’il en est.

Mettons-nous à table. En face de moi : évidemment un p’tit vieux, probablement le doyen de l’assemblée. Ian McKellen avec la coupe de cheveux de Daniel Gélin et la diction de Michel Rocard. Il ne me lâchera pas la grappe de tout le repas. Le temps de comprendre que mon métier a un rapport avec internet et il est parti dans une démonstration impensable sur la supériorité de l’e-mail sur le courrier papier et la magie de l’achat en ligne. Ce cuistre se paye le luxe de m’en parler comme si je n’y connaissais rien. Il enchaîne sur la numérisation des oeuvres et là on passe aux choses sérieuses. Le bougre connaît son sujet. Ça devient même carrément intéressant. Il s’avère que mon Ian McGélin a fait le tour de plus ou moins tous les musées du monde de Tokyo à Bilbao en passant par New York, il écope internet en long, en large et en travers sur tout ce qui concerne l’art et l’architecture. Il m’a ferré en deux minutes, je me prends à rêver de conversations passionnantes jusqu’à la fin du repas. C’est le moment que choisit mon voisin de table pour râler et nous interrompre : je me sers un verre d’eau alors qu’il y a tout ce bon vin sur la table qui ne demande qu’à être bu. Fatalitas ! McGélin, en perdition, lâche la rampe et ses feux pour enchaîner sur le culinaire. Il est dithyrambique à propos du « Flounche », un super resto à côté de Pompidou. Bizarrement ça ne me dit rien du tout, en plus je trouve le nom un peu naze pour un soi-disant restaurant sympa. Quand je réalise qu’il parle du Flunch je me sens un peu dans la peau du mec à qui on a fait miroiter un congrès du corbeau avec Mila Kunis et qui se retrouve dans un plan à trois avec Susan Boyle et Mimie Mathy…

Heureusement, les autres convives prennent le relais et sauvent le coup. Georges agrémente le repas de quelques blagues, toutes plus pourries les unes que les autres. On a même droit a des blagues de cul à base de pommes avec des bites, ce qui ne fait pas très soutane, admettons-le. Au bout de la table, la bonne sœur espagnole parlche comm cha et se marre tout le temps mais je ne comprends presque rien à ce qu’elle raconte, surtout quand elle explique en anglais qu’elle a vécu 15 ans aux states et que sa sœur est à Paris mais qu’elle n’est pas là parce qu’elle est chez sa sœur qui est sœur aussi (sic). Pour terminer en beauté, notre ami polonais fait honneur à sa réputation au moment d’aller chercher les digestifs. Il nous sort l’armagnac, le brandy, le cognac et le krupnik (un truc polonais importé par ses soins donc) et nous laisse choisir parmi les tord-boyaux. Lui il s’en fout, il a éclaté la bouteille de vodka pendant le repas…

Vous voyez donc que je ne me suis pas ennuyé un seul instant car, en plus d’être folkloriques, ils sont tous très sympas et fondamentalement gentils, ça en est même perturbant quand on n’est pas habitué. Pensez-y donc la prochaine fois qu’on vous propose un plan qui, a priori, sent la terrine moisie à trois kilomètres. Même si il n’y a pas de curés, on est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Comme je suis en galère pour la conclusion je vous laisse méditer ces quelques phrases qui n’ont rien à voir:

Personne dans le monde
Ne marche du même pas
Et même si la Terre est ronde
On ne se rencontre pas

Les apparences et les préférences
Ont trop d’importance
Acceptons les différences

C’est vrai, faut de tout tu sais
Faut de tout c’est vrai
Faut de tout pour faire un monde

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3 réponses à La Cène

  1. Maud dit :

    Je me rappelle ton oncle, il est trop cool. :)

    Sinon, bravo d’avoir placé le Führer dès l’intro !

  2. Mogadishow dit :

    J’avoue, ça fait rêver. On dirait l’équipage de Star Trek version Team du Bon Dieu! S’ils sont pas loin, invite les à taper le carton avec nous un midi!

  3. Ping : Ite missa est | Des claques dans la bouche

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