Le jour où j’ai pas loué un camion

I'm a fucking Prime

Prendre des p’tits bouts de trucs et puis les assembler ensemble…

Déjà quand tu arrives dans le parking souterrain et que tu cherches le camion, tu passes devant sans même le regarder tellement il a l’air d’une épave qui aurait été abandonnée là après avoir été brûlée par un optimiste pour tenter l’arnaque à l’assurance la plus minable de l’histoire du genre humain (Neandertal compris). Tu tournes à droite, à gauche, tu regardes au fond et puis arrive le moment où tu te rends compte qu’il n’y a vraiment pas d’autre option : le truc bleu recouvert d’une strate de poussière est bien le véhicule que tu es censé conduire sur plusieurs centaines de kilomètres. Et tu sais même pas si il va tenir le coup jusqu’à la rampe de sortie du parking…

La camionnette de René. Je n’ai jamais vu ce type mais je crie respect.

L’incrédulité est telle qu’il me faut bien dix minutes pour reprendre mes esprits et me résoudre à entreprendre un petit tour d’inspection du bazar. La bonne nouvelle c’est qu’il y a bien les quatre roues, deux de chaque côté, et des portes partout où on espère en trouver. Bon d’accord la double porte du fond est attachée avec de la ficelle, mais au moins elle a l’air fermée si on ne regarde pas de trop près. La porte latérale c’est une autre histoire : elle est tellement bien ajustée qu’on peut passer la main à l’intérieur sans même l’ouvrir. Pratique quand on perd ses clefs. Par contre j’ai un moment de doute quant à l’existence des fenêtres tellement la différence d’opacité entre les vitres et la carrosserie est proche de zéro.

C’est en ouvrant les portes à l’arrière que je prends réellement conscience de la gravité de la situation. S’étend devant moi un incroyable capharnaüm dont le matériau de base semble être des couvertures volées à des sans-abris syphilitiques au début des années quatre-vingt. Monter là-dedans c’est exactement comme pénétrer dans la cabane du plus crade des lépreux du plus crade des bidonvilles de la plus crade des villes du tiers-monde, genre Calcutta qui se réveillerait dans une flaque de la gerbe d’un chien errant de Kibera après avoir été violée par un clochard… Rien que d’être là j’ai envie de m’asperger d’essence et mettre le feu à mes fringues tellement je sais que tout ce qui entre en contact avec cet endroit choppe instantanément la malaria. Je suis néanmoins assez fier de moi car je viens de me placer d’un coup d’un seul dans la short list pour le prix Nobel de médecine de cette année, à moi les 10.000.000 SEK. Sang contaminé, encéphalite spongiforme bovine, hormone de croissance, chikungunya, Marine Le Pen, ebola, amiante, Tchernobyl, escherichia coli, grippe aviaire, etc. Je viens de trouver l’unique source à l’origine de toutes les crises sanitaires de ces trente dernières années.

Comme nous sommes sur un blog familial je me dois de vous épargner les détails sordides, sachez juste qu’il a fallu évacuer le plus gros du bordel et une putain de bibliothèque gigantesque vers un coin sombre du parking afin de rendre le camion utilisable. Il n’était bien sûr pas question de jeter les trésors de René. Vient ensuite le moment délicat où il faut prendre possession de l’habitacle, qui est bien sûr du même acabit que la plage arrière. Première impression sympa, le siège en cuir éventré façon rame du RER C, celle des années soixante, avec les imprimés fausse moquette marron sur les cloisons. René a beau avoir habilement placé un coussin de canapé élimé en guise de dossier, on sent bien que ça ne va pas suffire. La prise en main est plutôt bonne. Le volant me colle aux mains, au sens littéral du terme. Le pommeau du levier de vitesse aussi. Il me reste d’ailleurs dans la main quand je passe la première. En examinant le reste d’un peu plus près j’ai l’impression d’être dans la version Fisher-Price d’un vrai camion, tout est réduit à sa plus simple expression : pas de poignées, aucun moyen d’actionner les fenêtres des portières, tous les boutons du tableau de bord sont plus ou moins tombés et, le camion ayant été mis en vente du temps des 78 tours, il n’est bien sûr pas question d’envisager un quelconque autoradio. Au moins rien ne pourra me distraire durant la conduite.

Après un petit tour dans Paris voici venu le temps des grands espaces : objectif autoroute. Sans oublier bien sûr de faire le plein avant de partir afin d’avoir droit à la première blague de la journée en arrivant à la station-service. A priori le bouton permettant de débloquer la ceinture de sécurité est tombé à un moment ou à un autre, plus aucun moyen de se détacher. Petit numéro de contorsions devant les pompes à essence pour enfin s’extirper de ce piège infernal avec grâce et élégance, le tout en bloquant tout le monde derrière. Comme le camion date d’une époque où on avait encore confiance en l’humanité, le bouchon du réservoir s’ouvre sans clef, c’est la première fois que je vois ça. C’est aussi là que j’apprends qu’on peut encore acheter des bouteilles de je-ne-sais-quoi pleines de plomb afin d’en mettre dans le réservoir pour transformer l’essence sans plomb en essence avec du plomb. Le camion de René ne roule pas au sans plomb, je suis au volant du Fukushima de la route, bonjour l’empreinte carbone. Et qu’on mette cinq ou quarante litres d’essence ne change pas grand-chose à l’affaire : la jauge ne bouge pas d’un iota et reste en dessous de zéro.

Autoroute. Enfer.

La boîte de vitesse est impensable, j’ai l’impression de laisser des pignons sur la route à chaque fois que j’embraye. C’est aussi l’occasion de découvrir qu’il n’y a que quatre vitesses en essayant de passer la cinquième et en tombant sur la troisième. De toute façon il n’y a que la seconde et la quatrième qui semblent fonctionner sans faire le même bruit que Robocop qui se casserait la gueule dans un escalator avec une shampouineuse dans les mains. L’aiguille du compteur de vitesse étant coincée sur le 70 je considère que je roule à 70 Km/h quelle que soit la topologie de la route, j’ai hâte de voir la gueule des gendarmes qui m’arrêteront. Les premiers kilomètres m’ont également appris que, passé une certaine vitesse (au hasard, on va dire 70) les roues avant chassent dans tous les sens et qu’il faut tenir le volant à deux heures sur la droite pour aller tout droit sinon c’est direct dans les glissières. Autant vous dire que je n’ai jamais été aussi concentré de ma vie. Cette concentration extrême me permet de savourer pleinement le moment le plus humiliant de ma vie quand un camion, genre trente-huit tonnes balaise, me double comme si j’étais arrêté au bord de la route.

Retour. Autoroute. La nuit. Enfer au carré.

Quand il commence à faire sombre, la tradition veut qu’on allume les phares afin de faire connaître sa présence aux autres automobilistes et, si possible, voir où on met les roues (cf. code de la route). C’est sans compter sur Optimus René. Comme le tableau de bord ne s’allume pas et qu’aucun voyant ne daigne faire semblant d’essayer d’être utile, pas moyen de savoir si les phares sont allumés quand survient le crépuscule mais qu’il ne fait pas encore assez nuit pour voir la lumière devant. Mon ingéniosité sans limite entre heureusement en action et me permet de repérer le seul mec qui roule encore moins vite que moi (non ça n’est pas un tracteur). Je me colle à moins de deux mètres derrière lui pour voir si mes feux sont allumés dans les reflets sur son pare choc. Bingo. Une dernière pour la route ? Quand tu mets le clignotant les phares s’éteignent…

Même si ça parlait de morceaux de déménagement, rassure-toi Internet, je reste capital, à la vie, à la mort.

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