Mon père a toujours raison

« I am your son. Command me in all things ! » Andy Garcia – 1990
« Son, your ego is writing checks your body can’t cash. » James Tolkan – 1986

I command thee

Si toi aussi tu as été un adolescent de sexe masculin à un moment ou un autre de ta vie tu as forcément connu l’heure H. Le H de Hormone. Quand les roubignolles prennent le pouvoir et savatent tout ce qui bouge dans l’éponge qui te fait office de cervelle. Le kop of Boulogne hormonal se pointe dans le stade de ton slip et qui commence gentiment à ratonner tes souvenirs d’enfance pour faire de toi un homme, un vrai, un qui sent fort. Tu voyais tout par en-dessous, t’avais rien compris, t’avais pas free. (NDLR: amie lectrice, je présume que l’équivalent féminin doit exister en version sans les roubignolles et l’odeur, mais tu sais ça bien mieux que moi).

Quand vient l’heure H, les filles cessent d’être les abominations intouchables auxquelles tu préférais tes bagnoles télécommandées. La veille, Brenda aurait pris feu devant toi que tu lui aurais même pas pissé dessus pour l’éteindre, le lendemain c’est toi qu’est en feu et qui te pisse dessus à l’idée de l’étreindre. (NDLR: tu peux remplacer Brenda par Brandon si ça te chante mais ne les mets pas ensemble, ils sont frère et sœur, ça serait dégueulasse). Brenda est devenue ton Himalaya personnel, quand tu la vois tu saignes du nez façon ivresse des sommets, quand tu ne la vois pas tu te branles en pensant à elle (NDLR: anecdote non contractuelle). Mais comme t’as pas encore l’âge de picoler assez pour trouver le courage de lui parler tu restes là comme un con à te tirer sur la nouille. La vie t’a peut-être rendu la vue mais elle t’a aussi pété les jambes. Sur ce coup là, avouons-le, la vie fait un peu sa prostipute.

Ma Brenda à moi c’était Fabienne. Je sais, ça ne fait pas trop rêver comme prénom mais il faut se replacer dans le contexte : le président c’est Mitterrand, le rap français c’est Benny B qu’on écoute religieusement avec nos pumps aux pieds et nos waïkiki sur le dos (j’ai acheté la cassette sur le marché pour 70 francs) et quand tu as un minitel chez toi tu es le roi du pétrole. Du coup s’appeler Fabienne ça tient la route. Pour situer, Fabienne c’était une petite brune à frange qui claque bien. La jolie p’tite meuf qu’on voit même pas si on ne la cherche pas un peu. Celle qui se mérite. Celle que les crevards et les daleux calculent pas, occupés qu’ils sont à renifler le cul de Brenda-la-pouf (celle qui s’appelle vraiment Brenda). Fabienne c’est la perle qu’on trouve par hasard sur une plage de Ceylan et un air de Bizet. J’en reviens pas de la chance que j’ai d’être le seul à l’avoir repérée. Sauf que je n’ai pas encore le CAP pêcheur de perles et que je ne tiens pas sept secondes en apnée. En plus Hitch, expert en séduction sort en salles genre dans 15 ans, je peux même pas compter sur Will Smith pour me tuyauter. Je te laisse un peu mesurer le sévère degré de merditude de la situation.

Me voici donc en pleine introspection, plus terrassé qu’une dalle de béton à Setùbal.

A la même époque, le moustachu paternel était un hyperactif agricole. Il faisait des trucs pas cools comme avoir un potager collaboratif avec des amis. Enfin c’est comme ça qu’on dirait maintenant en novlangue développementdurablesque mais en vrai ça se résumait plutôt à picoler avec ses potes au pied du marronnier qui est au fond du jardin. Ou, pour être encore plus précis, mettre des bottes en plastoc pour aller passer du temps avec des types qui avaient des noms de ouf genre ‘Vacher’ et siffler un litre de onze goulous. Le onze goulous ça existait vraiment hein. C’était la piquette qu’on achetait chez codec à 1F50 et qu’on avait aucun scrupule à laisser planquée sous une caisse car on savait que personne irait larciner ce machin là. En plus les petits farceurs s’amuseraient pas à pisser dans la bouteille vu que ça changerait même pas assez le goût pour qu’on le remarque.

Le moustachu étant d’un naturel sociable, il poussait le bouchon jusqu’à me convier à ces agapes. J’aime autant vous dire que ma fibre bucolique avait du mal à vibrer avec des perspectives pareilles. Je déclinais donc poliment mais fermement d’un « mais nan p’pa, c’est trop naze » bien envoyé et retournais stalker la douce Fabienne en espérant vaguement réussir un jour à échafauder un plan d’attaque pour conquérir la belle. Plan dont les chances de succès étaient bien évidemment légèrement inférieures à celles qu’aurait un tétraplégique aveugle de s’évader d’Alcatraz pendant une éruption volcanique.

A l’inaction chronique succéda… l’inaction pathologique. Même un type comme Vacher ne pouvait rien pour moi. Bref, ça sentait bon la résine du sapin de la résignation.

Un beau jour de printemps, nous promenant moi et mes parents dans la ville indéterminée de mes jeunes années, nous tombâmes nez à nez avec un petit homme brun qui portait une veste de cuir (on dirait du Marc Lévy). Bon, je ne l’avais jamais vu de ma vie mais mon père le connaissait bien a priori. Il est comme ça mon père, il connaît TOUT LE MONDE, pas moyen de faire deux pas dans la rue sans être emmerdé, il est pire que Lady Gaga. Ils papotent un peu et on repart tranquillement vaquer. Daddy contextualise un peu le quidam, persuadé que ça nous intéresse vraiment : « Ah lui il est cheminot, on fait le jardin ensemble, c’est Francis F**** white noise **** ». J’ai du faire à peu près la même gueule que François-Marie le jour où il à rencontré Liliane. Le F c’était juste le même nom que la douce Fabienne, un nom tellement peu commun que ça laissait quand même présager un lien de parenté probable. Je creuse un peu et voilà pas qu’il me sort que je dois connaître sa fille, elle est dans le même collège que moi, Fabienne qu’elle s’appelle. En plus elle est gentille comme tout et elle aime bien le jardin, elle s’occupe du coin où y’a les fleurs. A cet instant précis, je pense que personne n’aurait pu se sentir aussi seul que moi, à part peut être Natascha Kampusch coincée sur une île déserte avec Emile Louis, Josef Fritzl et Mamadou Traoré. Je tiens quand même à préciser que j’ai fait preuve d’un sang-froid incroyable, réussissant même à sortir un vague « ouais p’têt, ça me dit quelque chose ».

La suite je te la fais courte parce que le plat de résistance est passé et ça serait vraiment pêché d’envoyer un dessert trop bourratif. En plus personne n’aime les histoires qui se finissent bien. Au fil des semaines, quelques manœuvres d’une finesse infinie me suffirent à convaincre mon paternel de mon soudain regain d’intérêt pour ses activités dominicales. Et la lumière fût. L’environnement était propice, le rapprochement inévitable. Une Fabienne rien qu’à moi, hors carcan scolaire qui plus est, c’était le jardin d’Eden (malgré les moustachus du marronnier). Pour un peu je me serais collé une feuille sur la bistouille et j’aurais couru à poil dans les radis…

Moralité : la prochaine fois que ton père te propose un truc chelou qui n’implique pas de le voir à poil tu dis « oui papa ». C’est bon pour ton karma.

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