Le mot qui manque

7h32
Hurlement dans la rue. J’ouvre un œil pas trop frais après quelques heures de sommeil en pestant. Les casse-couilles du dimanche matin ça devrait être interdit. La radio du condé qui fait le planton devant l’immeuble d’en face crachote, je me dis qu’il va au moins servir à quelque chose aujourd’hui. Français moyen que je suis, je me lève pour voir d’un peu plus près ce que c’est que ce raffut, il y’a peut-être moyen d’assister à une bavure policière en live, façon Rodney King. J’écarte les rideaux. Un type en caleçon, allongé sur le ventre, le visage planté dans le bitume. La source des cris agenouillée à côté de lui. La Pietà. Sous ma fenêtre. J’habite au premier étage et aux premières loges. Le planton a une tête de collégien mais il ne panique pas, il connait son métier, il a déjà appelé les secours et il parle à la mère pour la calmer. Le type en caleçon a dans la vingtaine, des cheveux mi-longs bouclés et du sang qui ruisselle le long du trottoir. Il a sauté du cinquième étage.

7h36
Les pompiers sont là. Les quatre minutes ont été longues mais elles n’ont été que quatre. Je ne saurais jamais comment ils font pour arriver en moins de temps qu’il me faudrait pour mettre un pantalon.

7h37
Les médecins du SAMU sont là aussi. Leur ballet avec les pompiers est réglé au millimètre. Le chorégraphe est sacrément bon. Y’a une semaine, je croyais que la détermination et l’intensité physique dégagées par Dwayne Johnson dans Faster étaient inégalables. Mais The Rock se fait mettre la misère par une petite blonde urgentiste. En dix secondes elle a tout compris et elle est au boulot avec une précision et une rapidité incroyable. Quand on la voit, on SAIT qu’elle sauve des vies tous les jours comme moi je vais chercher le pain. Elle connaît son job elle aussi. L’efficacité incarnée dans une blouse blanche. Du coup je commence à croire que le type va s’en sortir. Et j’ai envie de lui gueuler des encouragements à ma fenêtre, comme un con, pour lui dire qu’avec des gens comme ça autour de lui il ne pourra jamais rien lui arriver. Tout est calme. Soleil et ciel bleu. Je retiens mon souffle.

8h09
La dame d’en face n’a plus de fils.
Y’a un mot qui manque pour dire ça.

8h10
Les pompiers sont autour d’elle et réussissent à irradier de la compassion dans toute la rue sans bouger, rien qu’en étant là. Encore une claque au Rock pour l’intensité physique.

8h27
Un sac en plastique blanc dans un camion de police. Les pompiers lavent le trottoir. Le caniveau est plein de mousse rose.

8h36
La rue est vide. Il ne s’est rien passé. Dans une heure les gens déambuleront sur ce trottoir sans rien savoir du drame de 7h32 et j’écrirai cette note à l’arrache pour évacuer la tension et dire au revoir à ce type que je ne connaissais pas. Drôle de façon d’être présentés si tu veux mon avis.

Mon infini respect à ceux qui étaient là pour essayer de te ramener. Honte aux comptables qui font tout pour leur compliquer la tâche…

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2 réponses à Le mot qui manque

  1. Mogadishow dit :

    Wow.bah putain, ça doit être spécial à vivre comme moment…. Chouette article en tous cas, sobre et tout alors qu’il serait si facilevd’en faire des tonnes. Respect

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